Encore du drapé, du large et du monochrome. En passant par Temporary Showroom, une agence de stylistes installée à Berlin, je tombe sur Odeur. Alléché par le label, je clique et la magie hypertextuelle dont je vous ai maintes fois rabâché la vertu m’envoie sur leur site. Fonctionnel et sombre, ce dernier me guide à travers les frasques de ces deux designers suèdois. Je tombe, facilement, sous le charme; du volume, des graphismes discrets mais de bon goût, l’obsession du détail, des coutures et du volume en veux-tu en voilà. Je ne m’en lasse pas.
Fin de journée maussade. Arrimé à mon Ricard, j’enterre ce lundi avec l’arrivée de la nuit. Mes compagnons font triste mine. Heureusement le « jaune » devient notre soleil et nous dressons nos plans d’attaque pour la soirée. Un objectif : la soirée Vice Magazine aux Disquaires. Avant ? Après ? Commandons toujours un autre verre, nous trouverons bien. Au troisième, nos estomacs réclament du combustible. Ce sera pâtes au pesto et une bouteille de rouge. Booba reste LE sujet de conversation. Puisque ses boucles donnent soif, nous attaquons un pack de Kro et à 23h nous partons aux Disquaires. Il y a du monde et des pintes à un prix décent. Nous gigotons sur des airs chics et entraînants, bloquons l’entrée des chiottes, lançons des concours de nouvelles érotiques et débattons sur le fait que Booba a bu du thé lors de son interview pour Vice. Il y avait une fille merveilleuse qui riait mais elle était liée à un type en baskets Paul Smith et chemise à col mou. Cela m’était tellement insupportable que je suis parti en after chez une dame. Nous y avons rappé avec l’accent nîmois, bu beaucoup et chanté des hymnes punk jusqu’à se faire bouter hors les murs. Du coup nous sommes entré au Social Club puis ravisés sitôt dedans. Il était bien plus intéressant de se battre sur les Grands Boulevards. Une pluie diluvienne vint saluer l’issue heureuse du combat et c’est en ski nautique que nous sommes rentrés. Ce récit autobiographique et alcoolisé ne sert pas à grand chose. Pour ne pas trop culpabiliser, je vous poste quelques photos de l’expo de William Eggleston au Whitney Museum à New York. La pirouette est ridicule mais le talent du photographe efface ma bêtise.
Deux choses à mirer impérativement en ce début de semaine : 1/ Le nouveau numéro du magazine en ligne « Hell’s Kitchen ». On y trouve des tas de choses élégantes comme un article sur les Nike Tn « rekins », un autre sur les Puces de Clignancourt (lieux pittoresque où d’après Alpha 5.20 « tous les jours on fait dix millions »), un portfolio de Dimitri Coste et un papier sur les bandes de jeunes et autres blousons noirs.
2/ Un article édifiant sur Viceland, concernant l’art de la punch-line dans le rap français post 95 (un domaine cher à la Conjuration). Un avant-goût ? Cette délicate création de III des X-Men :
Mon rap choque comme une nonne qui fume le crack à Vincennes, Tatouée, sapée très sex, bafouée pour 20 cents. Un défilé de cinq Benz avec rien que des noirs, Ou un nain homo qui danse le pogo avec dix skins.
Imaginez que la direction artistique de Vice reprenne les rênes de Kids Poney, alors vous aurez une petit idée du travail de James Horan sur "la sous-culture hippique urbaine irlandaise" (traduction littérale). Horan s’est intégré dans ce monde où lads et gitans aiment leurs chevaux comme leurs frères, montent à cru en Adidas, et font paître les bêtes derrière la maison. Capuches, cheveux ras, tatouages monochromes, et regards durs;
l’iconographie du voyou britannique s’expose et on ne peut réprimer un sourire quand on les imagine brosser amoureusement la croupe de leur monture dans des cours d’immeubles transformées en étables. Cette association me fascine, pour moi faire de cheval était devenu une activité de petite fille sage ou d’hétérosexuel malin, mais non, il existe des quartiers où les gosses ne rêvent pas de kiter leur Stunt, mais simplement de se faire offrir un poney. Tous les premiers dimanche du mois, dans les quartiers nord de Dublin, se tient le Smithfield Horse Market, grande foire à l’équidé où toute une économie parallèle se déploie, en cash. Mais le développement économique de la ville met la pression et rend archaïques ces pratiques ancestrales. La loi menace et bientôt le marché ne sera plus. Je n’aimerais pas être celui qui leur annoncera la nouvelle.
Un repas anodin est parfois prémonitoire d’un événement marquant. Pigalle, 15heure, je squatte un resto africain avec Arnaud. Tieb poisson et poulet yassa. J’en sors repu et là, Paf ! Je reçois le coup de téléphone d’un indicateur du Pont de Sèvres. L’exclu ! Un medley de 09, le prochain album de Booba est dispo sur le web. Je tremble d’impatience et cours l’écouter chez moi.
Même si ce n’est qu’un « aperçu » musical, l’ensemble rattrape les deux premiers et décevants extraits que sont B2OBA et Illégal. Une pépite : le son « Salade, Tomate, Oignon » qui démarre au quart de tour avec :
Au pays d’largent facile Combien sont mort en chemin ? Fuck les A.P.L, les transports en commun !
Il y a aussi cette merveille, issue de "Izi Monnaie" :
Le beurre, l’argent du beurre, Pour tartiner mes tranches de vie.
Jeudi soir : changement de ghetto ! Sous prétexte d’un rendez-vous, je quitte le XIe pour Pigalle puis grimpe les ruelles qui mènent jusqu’au Café Burq. Mes interlocuteurs sont déjà là et se remettent d’un passage express à Bruxelles avec quelques mojitos. Je les imite car on les dit très bons puis nous passons à table. L’instant et crucial. Je m’apprête à tester la motivation secrète de ma venue : le camembert rôti au miel. Salivant à outrance, je tripotte nerveusement mes couverts et le voilà qui arrive ! Servi dans sa boîte, accompagné de roquette et de pignons, je le contemple un instant, plonge ma main dans la corbeille à pain et pourfend la bête. La croûte révèle un cœur onctueux que je tartine en y ajoutant le miel qui se cristallise. Le mariage avec la roquette est somptueux. J’aimerais lui reprocher le fait qu’il n’était pas assez fait mais ma voisine me houspille, déclarant que ma passion pour les camemberts en fin de vie est plus un vice qu’un goût. Comme elle est jolie et que je suis faible, je nuance mon propos et me contenterai de dire : « «bien que truculent par sa description, ce camembert a ôté ses gros sabots sans renier son âme paysanne. » Le cadre de qualité prête à des discussions qui le sont tout autant. Nous rebondissons sur les projets ; arrondissons certains angles trop aiguisés, polissons l’ensemble et attendons avec impatience le moment de les voir éclore. Les envies ont du bon mais le concret l’est bien mieux. Il s’agit de joues de porc à la crème et aux herbes. Je plonge dans l’inconnu et le trouve aussi suave que goûtu. Le plat pourrait être un peu plus chaud. Du coup, je le dévore avant qu’il ne soit trop tard, avec une gourmandise certaine. De surcroît, nous buvions un vin de pays de la principauté d’Orange, récolté en 2005. Rapeux et fruité, il complétait bien ces plats crémeux et fondants. Union réussie, sans trop de chichis. En guise de voyage de noce, je pars du côté des lasagnes pommes/coing/orange en dessert. Plus de craquant eut été souhaitable. L’épouse ayant bien travaillé durant les deux premières parties, nous lui pardonnerons cette faiblesse. Les obligations nous empêchent de profiter d’un digestif. Ce n’est pas si grave, je le boirais en imagination, levant mon verre à la santé d’un Tigre de Papier.
"There are some guys that are a bit more subtle in their fan-dom, though
no less enthusiastic when you ask them if they’re down for the Muska. I’m one of those guys now."
Un beau soir de Juillet, j’ai suivi par hasard un pote aux dix ans d’un studio de création dans le quartier de Chelsea à New York. Je m’attendais à un truc de trentenaires bobo, plutôt chiants et équilibrés façon sushi/série/APC. L’anniversaire aseptisé s’est avéré être une sauterie du tonnerre avec pompes à bières, énormes barbecues, concerts de hardcore, taureau mécanique et surtout, une rampe de skate que saignaient une bande de tatoués. Alors que je faisais la queue pour avoir un burger, mon regard fut attiré par une curieuse silhouette qui envoyait des backside air sur la rampe. Je laissais échapper un « oh putain… » suraigu, devint livide et dit à mon pote : « mec ! sur la rampe, là ! c’est… c’est… c’est… Chad Muska ! ». Si vous êtes insensible au monde du skateboard, imaginez un fan de foot qui croiserait Zidane en train de faire des jongles, pour le plaisir, dans la teuf d’un pote… Violent, non ? Lorsque j’ai commencé le skate à l’age de 14 ans, tous les gamins voulaient ressembler à Chad Muska. Casquette « flex-fit » rouge portée à l’envers, nous faisions nos premiers 50-50 sur les trottoirs de la banlieue ouest, en rêvant qu’un jour nous les enverrions sur des rails de 20 marches à L.A, au son du ghetto blaster de Chad. Il nous féliciterait en gueulant des « Duuuuude ! That shit was fuckin’ awesome ! » avant de nous faire un check et de nous emmener draguer des meufs en Dickies, aux poitrines gonflées par le désir de vivre. Plus tard, Muska fut décrié. Trop people, il baisait Paris Hilton et s’essayait à la drum n’bass. Mes potes aussi se mirent à la musique. Ils fumaient des joints en gratouillant des horreurs reggae et je les quittais pour courir les rues de la capitale. Le truc c’est qu’avec le skate, on en est jamais tout à fait débarrassé. C’est dans les gênes et on y revient tôt ou tard, même inconsciemment. Regardez le nombre de kids en jeans slims, casquette New Era et grosse sneakers… Pof ! C’est dû à Chad Muska ! Même Lil’ Wayne porte des Muska Skytop… Je vous invite à lire ce merveilleux article d’Adam Salo sur le site d’EXPN. Il explique tout ce là bien mieux que moi, en revenant aux sources et en comparant le Muska de chez Toy Machine et celui de chez Supra. Il y aussi cette vidéo…
Le site le plus cool du monde a le concept le plus cool du monde : poster chaque jour la photo du mec le plus cool du monde. Pour voir les photos cool de cette description relou, il suffit de cliquer sur THE IMPOSSIBLE COOL !
Les rendez-vous du déjeuner ont toujours un parfum particulier. Débarrassés des convenances du soir, ils offrent avec bonhomie leurs mets de cantine. Pas de chichis, ici on s’occupe de qualité. C’est sur cette courte analyse que Quentin et moi apportons nos appétits au Petit Lyon, un sympathique restaurant de la rue de Vintimille, dans le nord du IXe arrondissement. Accueil de qualité. Un pot lyonnais (bouteille de 46cl de vin rouge) arrive illico avec son saucisson, histoire de lui laisser le temps de s’accommoder à la température ambiante. Nous passons commande, sifflons un premier verre et les ravioles de Lyon au chaource arrivent comme une bénédiction. Parfumées, nourrissantes, admirablement persillées ; ajoutez-y une gorgée de vin et vos pommettes rosissent de béatitude. L’assiette est rendue saucée, ce qui est la moindre des choses. Quentin et moi échangeons quelques propos en attendant nos pavés de cœurs de rumstecks sauce Rossini. Cependant, notre amitié a trop de respect pour la tortore et lorsqu’ils arrivent, nous nous taisons. La viande est tendre et saignante, la sauce l’enrobe d’une certaine suavité, les pommes de terres fondent dans leurs robes délicatement dorées et les haricots verts apportent un soupçon de bonne conscience. Quentin pousse le bouchon jusqu’à demander un second pot de sauce qu’il torche jusqu’à la dernière goutte à grand renfort de pain. En sortant, nous tapotons nos ventres gonflés, qui, malgré nos sneakers et nos bobines juvéniles, nous donnent des airs de notables de province. Quentin déclare : « Tout de même, on est jeunes, on est beaux, on aime la vie, j’comprend pas, on devrait avoir toutes les femmes à nos pieds. » « Ça doit être à cause de l’ail dans les haricots verts… »
Par Foucauld
Le Petit Lyon, 24 rue de Vintimille 75009 Paris / Tel. 01.45.26.31.19
Je suis conscient de l’anachronisme. Après avoir présenté la "bande annonce" de la saison Printemps/été 2009 de Complex Geometries, je vous parle de la collection Automne/hiver. Illogique? Pas tant que ça, consumériste plutôt; la première n’est pas disponible et la seconde se trouve ici. De plus, rien ne vous empêche de vous rincer l’œil sur leur site et d’attendre, fébriles, l’arrivée du printemps. En ce qui concerne ce que vous avez le droit de porter, l’histoire continue. Les Canadiens versent toujours dans la capuche et le drapé, le noir et le volume. Rien d’ennuyeux pour autant, le monochrome sait se rendre attachant, regardez par vous même.
Un piano ça se prépare. Pour Volker Bertelmann, alias Hauschka, ça se pimp. Sans état d’âme, il rajoute des lanières de cuirs, des cordes de guitares, il enroule les marteaux dans de fines lamelles d’aluminium, balance des capsules de bouteille au milieu du tout, bref, malmène l’instrument saint. Loin des virtuoses, Hauschka déroule un jeu minimaliste, à la structure proche de la musique électronique, tendance Traum. Il tente, fait ses expériences et en sort un son qui rappelle les "Piano Phase" de Steve Reich, ou, dans une moindre mesure, le "All my friends" de LCD Soundsystem (ok, pas tant que ça mais j’avais envie de la mettre parce qu’elle est affolante). Ça crépite, ça tapote, ça secoue, irrite parfois, mais on se laisse prendre et lorsqu’il verse dans la balade, avec The Afterlife of Things notamment, on se demande pourquoi on a raté son concert à Paris, en octobre dernier.
En cette fête de la Toussaint, j’ai eu le privilège de déguster un Petrus 1992 après un Givry 1988. Mon premier Petrus. Bien que je n’ai jamais conduit, le seul élément de comparaison que j’ai pour qualifier ce « vin » serait le moteur d’une Rolls Royce. Puissant, présent et réglé comme de la haute horlogerie. Lorsque l’on dispose d’une telle machine, on n’atteint le bonheur qu’avec ce bruit de moteur et on souffre lorsqu’il faut arrêter ce ronronnement mâtiné de rugissement. Longueur en bouche extraordinaire, emprise totale sur les sens. Taisez-vous, Petrus s’exprime. Certes, mais la jeunesse est incorrigible. Il faut que la vie pétarade et toute aventure est bonne à prendre. C’est pourquoi je me suis aventuré en direction de Jouy-en-Josas avec deux bon camarades : Ali (et ses trois lettres) et Nicolas. Ce dernier nous avait fait l’honneur de se nipper en ce qui rappelle un conducteur de train corail dans les années 80 : cravate Ted Lapidus en tricot, jacquard de grosses mailles colorées, veste prince de Galle éculée et derbies en skaï. Nous avons rendez-vous dans une maison cise entre deux bois aux noms inquiétants : le Bois de l’Homme Mort et le Bois du Loup Pendu. C’est le lapin Playboy qui nous ouvre sa porte et nous met à l’abri. La soirée fut à la fois classique et sympathique mais je vous épargnerai le descriptif . Pourquoi ? Je préfère sauter sur l’occasion pour vous refourguer quelques infos. Dans la plupart des sauteries réussies, on passe des classiques musicaux. Nirvana en fait partie. Puisque en bon natifs des années 80 nous ne nous sommes jamais remis de ce groupe, il faut courir à la Galerie Chappe où Charles Peterson expose ses portraits de Kurt Cobain jusqu’au premier décembre.
Plus jeune et coloré, Pharell Williams squatte les boums sous plusieurs formes, que ce soit avec Snoop Dog ou Justin. Cela me fait penser à la ligne de bijoux lancée par Ambush et ses potes des Teriyaki Boyz. Des bagues et colliers à l’effigie de Bethoveen. Foutre que c’est élégant !
Autre élément récurant des guinches de l’an 2008 : les filles ne peuvent s’empêcher de mettre des chemises à carreaux. Une mode que la goguenarde Elise J. titille brillamment dans sa critique du clip de « My Delirium » de Ladyhawke.
De fil en aiguille, la nuit touche à sa fin, nous rappelant à son bon souvenir avec deux flaques gerbes dans la gare de Versailles Chantier. J’ai failli glisser dans ces immondices en courant chercher un croissant de la première fournée dominicale.
Lorsque j’arrive dans le ghetto parental, il est neuf heure du matin. Je remonte l’avenue et, chose improbable, je tombe sur un oncle éloigné, tétant sa clope en pyjama. Nous nous serons la main. « Tu es bien matinal. » « Oui, je fume ma clope » « Et bien moi je rentre de soirée » « Bonne nuit ». Allez savoir pourquoi, l’absurde de cette situation me rappelle « le dernier repas » de Jacques Brel :
Par habitude, je ne m’attarde pas sur la "photographie de studio", celle qui se contente trop souvent de faire figurer de longues silhouettes sur fonds monochromes. Oui, mais. … Cette série de Victor de Mello m’a ébranlé, cassé, elle a fait exploser mes principes en cinq clichés. La dualité des mannequins surprend mais au bout de quelques secondes tout s’équilibre. Là, on ne décroche plus, captivé par l’harmonie inattendue qui se développe entre ces visages délicats et les corps brutes, travaillés à l’extrême, sur lesquels ils ont été déposés. On se laisse prendre au jeu et la sensualité affleure, subtile, unique en son genre. Certes, l’homme sait y faire, le polaroïd grand format injecte cette intensité particulière, mais ça ne fait pas tout. La technique ne captive pas, elle impressionne, au mieux. Ce sont ces filles qui sont magiques.
Alors, émus, on reste là, assis devant elles, on arrose le tout d’un petit Kruder & Dorfmeister et on se prend à rêver, comme un dimanche soir.
Sur le parking de la plage de Calais, la bise cinglait mon osseuse silhouette et semblait vouloir me réduire en miette en ce dernier jour d’octobre. Devant moi, les masses noires et immuables de mes grands-parents me précédaient. Les éléments n’ont aucune emprise sur eux. Normal, ils foncent droit vers leur habitude : le Sybillin. Ce restaurant est l’un des trois à bénéficier d’une vue sur mer dans cette partie de la ville. Accueillis par les vigoureuses poignées de mains des tenanciers, nous grimpâmes quelques marches avant de tressaillir sous l’injonction ch’ti et forte en décibel de la serveuse : « B‘jour eu’msieur, dames ! Vous désirez ? » J’ose un camembert frit sur lit de salade en entrée d’une alliance de filets de rouget et de merlan. Nous patientons en subissant l’aigre assaut de moules au vinaigre, servi en vérine. Dieu merci, le camembert daigna arriver. Mmm… Il manque de caractère, la salade est fade et mal assaisonnée mais correct quand on a faim. Mon grand-père attend la suite en regardant le bal des ferries reliant Douvres à Calais. Je me concentre sur celui des auto tunées et des cars d’anglais obèses. Il me rejoint dans cette contemplation. Moins silencieux, il commente : « Regarde un peu c’qui arrive en bleu ! Un monument ! Comme dirait l’curé : des bras comme des cuisses, des cuisses comme des troncs, des troncs comme des bœufs ! Et dire qu’ils cherchent un restaurant pour en ingurgiter encore plus ! » Le plat arrive. Sans artifices mais bon élève, le rouget vient bousculer l’uniformité du merlan. Quelques pommes vapeurs, un peu de choux fleur, une sauce à l’oseille. Simple, copieux et fin à la fois. Adjugé. Les anglais sont venus s’asseoir à la table d’à côté. Incorrigible, mon grand-père surenchérit : « Tu comprends c’qu’ils braient ? Non. T’as raison, vaut mieux pas ! » Il est une chose qui devrait se priver de traduction, c’est le pain perdu à la cassonade. Il arrive chaud et nappé de caramel. C’est là qu’est l’erreur. Ce met est ordinaire, délicieux dans sa simplicité. Pourquoi faut-il le gâcher avec une sauce caramel industrielle ? C’est souvent le problème de ces restaurants. Au lieu de rester simple mais fier comme ces terres du Pas de Calais, il faut qu’ils rajoutent quelques merdes pour se donner un genre. Un restaurant devrait rester un restaurant. Le genre ici, c’est la mer, pas les vagues remous des sauces industrielles. En apportant l’addition, la serveuse dit de son franc parler naturel: « Me v’la ! ». Ce « me v’la » sorti du fond du cœur, c’est ce que nous attendions de votre cuisine. Pas besoin des bouches en culs de poule fardés à la truelle de votre sauce caramel.