Ces lieux de nuit, de dimanche…

Tuesday, June 5, 2012

Lorsque le travail vous occupe une quinzaine d’heures par jour, que tous les magasins sont fermés les rares fois où vous courez les rues, vous vous voyez forcé de privilégier l’essentiel pour faire tourner la machine.
Trouver un peu de littérature ou des cigares correctement humidifiés devient une affaire compliquée. Alors, vous errez dans ces lieux de nuit, de dimanche, de jour férié.
Le Carrousel donne au Louvre des airs d’aéroport. Vous y déambulez sans pour autant dénicher ce que vous cherchez. Vous poussez jusqu’aux Champs que remontent les signes ostensibles de vulgarité. Au Drug’, Gris Clair de Serge Lutens bataille avec les Acqua di Parma. Un poignet chacun calme le jeu un instant. Presse internationale, quelques nouveaux romans pour surveiller l’époque, le plein de Double Coronas de Saint Luis Rey puis Fumoir, Whisky Sour, Mint Julep, Hustler…
Bruine, lettres, volutes, Paris !

Par Foucauld

(Image : Michel Houellebecq par Ulrich Lamsfuss, Galerie Daniel Templon)

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L’Italie et les Pierrots de la nuit

Wednesday, April 4, 2012

L’Italie recherchait des zones d’ombre, des ruelles qui eurent pu être anglaises. Je revenais sur son chemin à la recherche de mon vélo, dans un Paris privé de ses ors. C’était la nuit et sans danse cela n’avait plus d’intérêt.
« Pschitt » fit le mégot de mon Toscano dans le caniveau de l’Opéra, glacé était le métal de ma Kryptonite contre mon flanc. J’allais rentrer, « J’allais tenter » écrivit le correcteur orthographique de mon iPhone français sur lequel je prenais des notes. On ne pouvait compter sur personne : Brigitte Bardot n’était plus qu’un sac de la maison Lancel, aux arabesques malhabiles brodées sur de l’alcantara. Heureusement le Prada Candy, cette eau de parfum d’abribus, ou plutôt de « salon d’extérieur multiservice », comme le souhaiterait l’homo festivus Marc Aurel, était comme un espoir : il existait d’autres icônes, Léa Seydoux en était la preuve. Je fis un détour par le Tigre pour voir si Adrien était à l’entrée, mais nous étions mardi. Malgré cela, une affiche lumineuse des Pierrots de la nuit m’assenait “Restons éveillés sans réveiller”. Qu’ils n’aient crainte, seuls les huit bars de pression de mes Hutchinson troubleront la nuit parisienne.

Par Foucauld

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Le Ventre de Paris

Monday, March 12, 2012

“Quand Mme François parlait de Paris, elle était pleine d’ironie et de dédain ; elle le traitait en ville très éloignée, tout à fait ridicule et méprisable, dans laquelle elle ne consentait à mettre les pieds que la nuit.”

Émile Zola, Le Ventre de Paris

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Chez Denise

Sunday, March 11, 2012

À un godelureau qui cherchait à se remplir la panse à quatre heures du matin, j’indiquais le chemin de Chez Denise. Il n’eut pas l’air satisfait de ma réponse et je devinais qu’il eut préféré un kebab. Mesquin, j’ai joué la carte du mauvais esprit et nié l’existence de ce type d’établissement dans le quartier des Halles. Qu’il dorme le ventre creux m’importait peu, puisque j’allais me taper une daube de joue de bœuf dans ce restaurant historique où la nourriture est une affaire sérieuse et le Brouilly servi au litre.

Par Foucauld

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Gaston et Gustave

Thursday, February 16, 2012

« À vingt-cinq ans, le personnage fantasque et rabelaisien est déjà un vieux garçon, goûtant la conversation de vieillards. »

On dirait une description de votre serviteur, sauf qu’il s’agit de Flaubert, le maître d’Olivier Frébourg… Au premier abord, le sujet de Gaston et Gustave, son dernier livre, semble propice à l’ouverture des vannes lacrymales : sa femme accouche prématurément de jumeaux dont l’un est dans les limbes et l’autre doit se démener pour ne pas oublier de respirer. Mais le livre a deux cœurs : celui de Gaston, le jumeau vivant, et celui de Flaubert. Le premier à bien du mal à battre sans aide, et le second ne bat plus que par procuration de son œuvre. La littérature est-elle compatible avec la vie de famille ? Olivier Frébourg ne peut choisir. Alors son cœur décide de battre plus fort, pour que vivent les deux.
Ces temps-ci, lorsque j’étais saoul, je me suis surpris à dire à des filles ou à des types auprès de qui je faisais le malin, que la littérature était le seul combat qui finissait par m’intéresser. Un combat ? Quel combat ? Nous verrons s’il sera toujours à l’ordre du jour où le patachon se trouvera amoureux, avec des envies de quitter Paris pour créer son nid quelque part. Peut-on aimer, écrire, voyager et travailler entre deux becquées ? « Les hommes mettent un peu de leur âme dans beaucoup de choses, et c’est pourquoi il y a tant de beauté dans le monde, de cette beauté inutile qui est au-dessus de la vie. » écrit Chardonne dans ses Destinées Sentimentales. On dit qu’aller dans le sens de la beauté c’est aller vers Dieu. Si c’est le cas, pourquoi serait-elle inutile ? Et puis Dieu doit apprécier les courageux de la plume qui savent aussi changer les couches.
J’avais ouvert Gaston et Gustave pour quelques pages, acte récurent des séances de coucher, mais ne l’ai refermé qu’après le point final. Frénésie de lecture puis insomnie totale, de celles qui vous tiennent éveillé jusqu’à la sonnerie matinale. Toute la nuit, je conservais une lueur d’espoir. « Ne te relève pas pour te mettre à ton bureau, tu es peut-être sur le point de t’endormir… » me disait une petite voix. Mais à 6h45 il fallut se rendre à l’évidence, c’était raté : ni sommeil, ni feuillets noircis. Le bal de la semaine commençait.
Alors que je remontais la rue du Louvre, j’ai vu un homme bien mis dormir debout contre un panneau lumineux. Était-ce pour avoir chaud en attendant le bus ? Par refus du lundi ? Ou peut-être qu’il s’agissait d’un écrivain-père de famille… Ah Paris, cauchemar paisible à qui il restait une petite heure de répit.

Gaston et Gustave d’Olivier Frébourg, le Mercure de France.

Par Foucauld

(Photo : Lauren Bacall par John Engstead)

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Crêpes nocturnes

Saturday, February 11, 2012

Au milieu de ses piles de journaux, son chat à portée de main, Madame Paulo me narrait les malheurs de l’infortunée Marie-Thérèse de France et cherchait à me refourguer deux kilos de farine dont elle n’avait pas l’usage, me conseillant d’en faire des crêpes. L’idée ne semblait pas si mauvaise et j’appelais un ami belge pour m’inviter dans sa cuisine avec ma Francine et mes compagnons de comptoir.
Sur le boulevard Voltaire, je pestais en passant devant mon ancien appartement dont avait repeint la porte en rouge. Le 8 à Huit était désormais un Carrefour Express ; tout foutait le camp dans le onzième arrondissement.
L’ami belge, qui est aussi espagnol par sa mère, m’ouvrit la porte, la tête dissimulée derrière un masque d’Albert Einstein. Il m’indiqua où se trouvaient les ustensiles et attrapa sa guitare pour une imitation de Morrissey, toujours masqué.
En dégustant sa cinquième beurre-sucre, il me parlait d’un autre belgo-espingouin qui s’était enfui de Liège pour rentrer chez sa sainte mère madrilène en oubliant de payer sa redevance télé wallonienne. Le papelard administratif avait atterri ici et je trouvais qu’il fallait en faire un t-shirt. Puis nous mîmes des clips de Pierre Vassiliu et Vivien Savage, ainsi que « J’lai pas touchée » de Christophe, jusqu’à ce que les bières furent vidées. 
Quand le Ballantines les rejoignit, il fallu partir. En guise d’adieu déchirant, l’hôte reprit sa guitare pour un flamenco gitan dont les voisins apprécièrent toutes les subtilités avec une joie dissimulée.

Par Foucauld

(Photo : Johanna Stickland par Chad Muller pour Bambi Magazine)

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Que reste t-il…

Wednesday, February 1, 2012

Retour à mon bureau, mais l’atmosphère a changé. Ma lampe est pétée, il ne me reste que des bougies et une petite loupiotte posée sur une pile de boîtes de cigares pour en élargir le halo. Big « MacBook Pro » Brother diffuse un best-of d’Alain Bashung. La bouilloire électrique gargouille. J’en verse le contenu dans un grand pot de miel moribond afin que l’eau racle ce qu’il reste sur les parois. Un sachet de verveine, je touille, et la mixture de fortune constitue un moyen raisonnable de lutter contre huit degrés en dessous de zéro, assaillants hostiles de mes vitres non doublées. Depuis la pénombre, la scène forme un pot-pourri de bohème ancestrale et de technologie. Je reviens à moi. Hésitante, familière, idéale, une voix a anticipé celle de Bashung. La ferveur me pousse à enquêter sur ce slow de minuit… Françoise Hardy, Alain Bashung, paroles du Fou Chantant… pour vous mesdemoiselles et messieurs !

Par Foucauld

(Photo)

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Temps de cerveau indisponible

Tuesday, January 24, 2012

Sur mon bureau – une planche assez moche posée sur deux tréteaux bancals – s’entassent livres et revues, fanzines et cahiers, carnets abîmés et… ordinateurs. L’un est un très vieil iMac que je n’utilise jamais, l’autre un assez vieux laptop qui ronfle, mais tourne encore. Je m’en veux car je reviens toujours à lui, au lieu de rester concentré sur autre chose. Ainsi, j’avais prévu de m’atteler à la rédaction d’un long acte d’accusation contre notre siècle, comme dirait ce cher Ignatius J. Reilly, mais je n’ai eu de cesse d’être aimanté par Facebook. J’y suis tombé sur Voyage au bout de Direct 8: l’émission littéraire la moins chère du monde, un article de Raphaël Breuil pour la rubrique Bibliobs du Nouvel Observateur.
Il nous est offert, à nous autres insomniaques des nuits sans fêtes, repus de pain, blasés des jeux, une nouvelle distraction, une nouvelle issue. Nous n’aurons plus à nous faire dormir avec ou sans l’aide d’une dame, à enrichir les laboratoires pharmaceutiques et à compter les moutons ou les bécassines de Chasse et Pêche… Maman n’est pas revenu nous lire une histoire, mais la télévision oui ! Chaque nuit, de 3h30 à 6h00, le patrimoine littéraire mondial [est] déversé sur un plateau hideux de 2m², mal éclairé, avec une comédienne qui rame pour venir à bout des trois heures de lecture.
La demoiselle y bute sur l’Éducation Sentimentale comme une élève de CP sur la première page de Ratus et tente de faire passer Maupassant pour Le Père Castor. Lorsqu’elle lit, on trace immanquablement un parallèle avec celui d’une actrice de film pour adulte, non pas lorsque cette dernière se retrouve à quatre pattes mais quand elle est censée jouer, encore habillée. La démarche n’est pas si différente de La Conjuration qui essaye de vous faire lire quelques pensées en vous attirant à l’aide d’une photo polissonne, mais la virulence de mon propos se trouve confirmée par divers commentaires sur la fanpage de l’émission où l’on sent que ça se tire sur la fronde chez les insomniaco-littéraires !
« Regarder ce plan fixe qui vire au glauque pendant des heures est le prix à payer pour apaiser nos angoisses d’Homme moderne tout en se cultivant. » dit Raphaël Breuil.
Pour ma part, je crois que je vais plutôt me faire une trace de vélin pur fil ou de japon impérial et attaquer l’intégrale des essais de Philippe Muray que je n’ai jamais eu le courage d’ouvrir. Je ne sais si le matin me trouvera encore éveillé, mais il me trouvera certainement moins con que la veille.

Par Foucauld

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Silver Phantom

Monday, January 16, 2012

« … quand les filles nouvelles n’avaient pas encore enfilé les armures, elles dansaient fragiles, avec un spleen impérial, sur les airs ironiques des Kinks. »

Peu d’articles ces temps-ci, j’ai tendance à garder. Je relis Schuhl, aussi. Entrée des Fantômes d’une traite cette nuit. Comment avais-je pu omettre sa nouvelle Silver Phantom sur une nuit d’errance avec Jim Jarmusch ?

Une lectrice de la Conjuration m’a écrit pour me conseiller l’exposition Gisèle Freund à la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent où les écrivains du siècle nous y fixent en couleur, pour la première fois. J’en sors et pousse jusqu’au Musée d’Art Moderne dont on ne fréquente jamais assez les collections permanentes, gratuites et néanmoins splendides. Je m’y esclaffe devant les mines terribles de La Promenade du dimanche au Tyrol de Jean Fautrier, ai envie de cueillir les Fleurs de Max Ernst, puis de dévorer une jugulaire comme sur Les Amoureux (après la pluie) de Picabia.

Par Foucauld

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Mémoires d’un tricheur

Friday, January 6, 2012

« Oui, tous ces gens qui se haïssent, qui ne se quittent pas de l’année, qui échangent leurs femmes, leurs maîtresses et leurs amis, qui se regardent vieillir mais ne se voient pas changer, qui composent un véritable monde – je veux dire une véritable planète – avec ses mœurs, ses récréations, ses honneurs, son honneur et ses manies, oui, tous ces gens savent tomber d’accord, en un instant, quand il le faut. »

Sacha Guitry, Mémoires d’un tricheur.

(Photo : Helena Christensen par Guy Aroch, via)

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