L’azur, l’azur, l’azur…

Tuesday, March 13, 2012

Sur le Quai François Mitterrand, juste après le Pont des Arts, une vieille dame prenait le soleil dans son fauteuil roulant. Drapée dans un châle rouge et coiffée d’un chapeau cloche, elle discutait avec une demoiselle de compagnie qui clopait sans regarder la vue.
Quand je serais vieillard, et certainement plus emmerdant que je le suis déjà, j’aimerais que les tortionnaires de mon hospice m’accordent cette unique faveur : m’installer au même endroit, que je puisse encore m’emplir des reflets de l’astre sur les cadenas des amoureux, avec en arrière plan la pointe de l’Ile de la Cité, le sexe de Paris.

Par Foucauld

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Le Ventre de Paris

Monday, March 12, 2012

“Quand Mme François parlait de Paris, elle était pleine d’ironie et de dédain ; elle le traitait en ville très éloignée, tout à fait ridicule et méprisable, dans laquelle elle ne consentait à mettre les pieds que la nuit.”

Émile Zola, Le Ventre de Paris

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Chez Denise

Sunday, March 11, 2012

À un godelureau qui cherchait à se remplir la panse à quatre heures du matin, j’indiquais le chemin de Chez Denise. Il n’eut pas l’air satisfait de ma réponse et je devinais qu’il eut préféré un kebab. Mesquin, j’ai joué la carte du mauvais esprit et nié l’existence de ce type d’établissement dans le quartier des Halles. Qu’il dorme le ventre creux m’importait peu, puisque j’allais me taper une daube de joue de bœuf dans ce restaurant historique où la nourriture est une affaire sérieuse et le Brouilly servi au litre.

Par Foucauld

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Le prix de l’amour

Friday, March 9, 2012

« Guy nous rejoignit. Je m’aperçois que je n’ai guère parlé de lui : un beau garçon de vingt ans, une chevelure romantique, des mains diaphanes, une sensibilité trop aiguë. Longtemps, nous l’avions admiré, puis sa faiblesse, avouée après le départ d’Irène, nous avait détournés de lui. Nous étions tentés de l’abandonner à son violon, à ses livres rares, à ses étranges lubies d’adolescent qui ne mûrirait jamais. Pourtant il nous émouvait encore par l’idée grandiose qu’il se faisait de l’amour. Son approche d’Irène fut pathétique comme s’il craignait les coups. Elle ne lui en assena pas et, sans doute pour mieux dérouter, elle renoua avec Guy comme si rien ne s’était passé sinon qu’elle renonçait une fois pour toutes à sauter des bras de l’un dans les bras d’un autre.
Guy fut très prudent. Il s’aimait trop lui-même pour que la fuite scandaleuse d’Irène ne l’eût pas gravement blessé. Comme une plaie profonde, difficilement guérissable, il portait le souvenir d’un amour effondré en pleine extase. Nous étions plus sceptiques que lui sur la qualité d’un tel amour, mais qui aurait osé le lui dire ? Personne. Étonnés, nous le regardions prendre de l’épaisseur, en même temps qu’Irène nous inquiétait tant nous doutions de sa sincérité. »

Michel Déon, Le prix de l’amour, dans Nouvelles Complètes, Folio

(Photo : Camilla Hansen par Aram Bedrossian pour Lovecat Magazine)

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Le règne de l’étreinte…

Tuesday, March 6, 2012

Vous fouillez dans votre bibliothèque et sur Internet pour un projet, et tout se recoupe : Le Bardot Show et Louis Aragon, par exemple. Pour accompagner cette vidéo, il n’était pas raisonnable de poster davantage que cet extrait du Paysan de Paris, mais bon sang, quel texte parfait !

“Et brusquement, pour la première fois de ma vie, j’étais saisi de cette idée que les hommes n’ont trouvé qu’un terme de comparaison à ce qui est blond : comme les blés, et l’on a cru tout dire. Les blés, malheureux, mais n’avez-vous jamais regardé les fougères ? J’ai mordu tout un an des cheveux de fougère. J’ai connu des cheveux de résine, des cheveux de topaze, des cheveux d’hystérie. Blond comme l’hystérie, blond comme le ciel, blond comme la fatigue, blond comme le baiser. Sur la palette des blondeurs, je mettrai l’élégance des automobiles, l’odeur des sainfoins, le silence des matinées, les perplexités de l’attente, les ravages des frôlements. Qu’il est blond le bruit de la pluie, qu’il est blond le chant des miroirs ! Du parfum des gants au cri de la chouette, des battements du cœur de l’assassin à la flamme-fleur des cytises, de la morsure à la chanson, que de blondeurs, que de paupières : blondeur des toits, blondeurs des vents, blondeur des tables ou des palmes, il y a des jours entiers de blondeur, des grands magasins de Blond, des galeries pour le désir, des arsenaux de poudre d’orangeade. Blond partout : je m’abandonne à ce pitchpin des sens, à ce concept de la blondeur qui n’est pas la couleur même, mais une sorte d’esprit de couleur, tout marié aux accents de l’amour. Du blanc au rouge par le jaune, le blond ne livre pas son mystère. Le blond ressemble au balbutiement de la volupté, aux pirateries des lèvres, aux frémissements des eaux limpides. Le blond échappe à ce qui le définit, par une sorte de chemin capricieux où je rencontre les fleurs et les coquillages. C’est une espèce de reflet de la femme sur les pierres, une ombre paradoxale des caresses dans l’air, un souffle de défaite de la raison. Blonds comme le règne de l’étreinte, les cheveux se dissolvaient donc dans la boutique du passage, et moi je me laissais mourir depuis un quart d’heure environ.”

Par Foucauld

(Photo Sam Levin)

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Crêpes nocturnes

Saturday, February 11, 2012

Au milieu de ses piles de journaux, son chat à portée de main, Madame Paulo me narrait les malheurs de l’infortunée Marie-Thérèse de France et cherchait à me refourguer deux kilos de farine dont elle n’avait pas l’usage, me conseillant d’en faire des crêpes. L’idée ne semblait pas si mauvaise et j’appelais un ami belge pour m’inviter dans sa cuisine avec ma Francine et mes compagnons de comptoir.
Sur le boulevard Voltaire, je pestais en passant devant mon ancien appartement dont avait repeint la porte en rouge. Le 8 à Huit était désormais un Carrefour Express ; tout foutait le camp dans le onzième arrondissement.
L’ami belge, qui est aussi espagnol par sa mère, m’ouvrit la porte, la tête dissimulée derrière un masque d’Albert Einstein. Il m’indiqua où se trouvaient les ustensiles et attrapa sa guitare pour une imitation de Morrissey, toujours masqué.
En dégustant sa cinquième beurre-sucre, il me parlait d’un autre belgo-espingouin qui s’était enfui de Liège pour rentrer chez sa sainte mère madrilène en oubliant de payer sa redevance télé wallonienne. Le papelard administratif avait atterri ici et je trouvais qu’il fallait en faire un t-shirt. Puis nous mîmes des clips de Pierre Vassiliu et Vivien Savage, ainsi que « J’lai pas touchée » de Christophe, jusqu’à ce que les bières furent vidées. 
Quand le Ballantines les rejoignit, il fallu partir. En guise d’adieu déchirant, l’hôte reprit sa guitare pour un flamenco gitan dont les voisins apprécièrent toutes les subtilités avec une joie dissimulée.

Par Foucauld

(Photo : Johanna Stickland par Chad Muller pour Bambi Magazine)

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Que reste t-il…

Wednesday, February 1, 2012

Retour à mon bureau, mais l’atmosphère a changé. Ma lampe est pétée, il ne me reste que des bougies et une petite loupiotte posée sur une pile de boîtes de cigares pour en élargir le halo. Big « MacBook Pro » Brother diffuse un best-of d’Alain Bashung. La bouilloire électrique gargouille. J’en verse le contenu dans un grand pot de miel moribond afin que l’eau racle ce qu’il reste sur les parois. Un sachet de verveine, je touille, et la mixture de fortune constitue un moyen raisonnable de lutter contre huit degrés en dessous de zéro, assaillants hostiles de mes vitres non doublées. Depuis la pénombre, la scène forme un pot-pourri de bohème ancestrale et de technologie. Je reviens à moi. Hésitante, familière, idéale, une voix a anticipé celle de Bashung. La ferveur me pousse à enquêter sur ce slow de minuit… Françoise Hardy, Alain Bashung, paroles du Fou Chantant… pour vous mesdemoiselles et messieurs !

Par Foucauld

(Photo)

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What a waster

Sunday, November 20, 2011

Si l’on écrit « Pete Doherty » sur une affiche, les questions affluent. Rien de bien original, ce sont toujours les mêmes : viendra-t-il, drogue, drogue, drogue, tralalala je n’entends plus rien. Lorsque je me suis engouffré à sa suite dans le local à poubelles du Tigre, je le sentais bien. Il semblait apaisé, guitare déjà en main, élégant chapeau et quelque chose de très poli qui émanait de lui ; une manière de saluer, de s’inquiéter, petite pirouette, geste de la main en direction de son couvre chef… Dans ce dépotoir, il fuyait les backstages envahis ; il voulait jouer.
Sur scène, Adrien lui a tendu une serviette et je me suis revu six ans plus tôt, au Triptyque, grappiller le médiator de Carl Barat. Je l’avais collé au mur de ma chambre et mes amis le touchaient en entrant, comme une mezouzah rock.

There’s tears coming out from everywhere
The city’s hard, the city’s fair

Après un concert intense et de grande qualité, retour dans les backstages. La situation était très particulière. À ma gauche, un homme de main racontait ses blessures de guerre, rafales et coups de lame, à des hipsters en quête de frissons, tandis qu’à droite une dame proposait à Doherty de l’emmener à l’anniversaire de Joey Starr… Il a fini par y aller, accompagné de colosses anglais dotés de chicots en roro, plutôt du genre compagnon de geôle que baby rockers.
J’ai également fuit et fait des choses diverses : écraser les pieds d’une danseuse hip hop, porter une suissesse qui voulait quitter la soirée, ou bien me retrouver face à la boutique Roméo en flamme, aussi placide qu’un notable de province face à son âtre. Aligre la nuit, « salade, tomate, oignon à vie c’est d’plus en plus sûr… »

Par Foucauld

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Painted Love

Tuesday, November 8, 2011

« How far would you go for love ? » a demandé Cartier à Air. C’est la question que je me suis posée en découvrant leur titre inédit sur un clip de Waverly Films, dans la cave de la Fidélité. Ma réponse était intérieure, immédiate et sans appel : « n’importe où ». J’ajoutais « tout de suite », et le champagne n’y était pour rien. De ce genre de question, on en fait des romans, ou des publicités.
La dame qui présentait nous chantait la légende du bracelet Love, dont on dit que les amoureux qui l’achètent en jettent la clé dans le caniveau, sitôt sortis de la prestigieuse boutique. Mais est-ce suffisant ? Faudrait-il l’avaler, la passer sous presse comme les parcmètres de l’agent Longtarin ? Comment être certain qu’elle ne puisse jamais resservir ? Dans le clip, un peintre court après sa muse dans les rues de New York. Elle entre dans un club, il s’y engouffre ; Lit Lounge, ou j’affabule ? Mais les boîtes de nuit ne sont jamais que des bals modernes, on y gigote en espérant trouver le rythme de l’amour fusion.

Par Foucauld

 

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Pietà départementale

Monday, November 7, 2011

Il commence à pleuvoir sur Pontoise lorsque Tigre de Papier crève une première fois, au bout de deux kilomètres. Vélo retourné, paluches noires de cambouis, il répare son fidèle destrier et nous décampons. Neuf bornes de plus, rebelote. À court de boyau de rechange, je dois lui venir en aide et pars à la recherche du Décathlon le plus proche. Après m’être perdu dans des chemins aussi boueux que caillouteux, je pète un câble de vitesse dans une montée si raide que les autos-écoles viennent s’y exercer au démarrage en côte.
Je retrouve mon compagnon de galère abrité derrière un panneau routier. Sur des lambeaux d’affiche, Nicolas Miguet promet monts et merveilles, mais Tigre de Papier pense plutôt à éviter les balles des chasseurs qui sifflent dans les champs de betterave. Il s’empêtre dans la colle, parvient à changer son boyau et enfourche son Roger Lapébie.
Sur la D22, les camions nous aspergent et tentent de nous happer. Le rire est présent, nerveux. Il est impossible de reculer. Qui viendrait nous chercher ?
Fottorino dit qu’on écrit beaucoup quand on n’écrit pas. Encore faut-il se souvenir de ce qu’on aurait voulu noter les mains sur le guidon. Je me rappelle en substance ce que je désirais écrire, mais pas de la phrase exacte, la tirade qui arrivait comme une évidence.
Quand il ne se passe rien on se raccroche à ce que l’on peut. L’horizon, une ligne blanche, la perturbation visuelle causée par une roue voilée, les chaussettes de Tigre de Papier… Détrempées comme des wassingues, tirebouchonnant sur ses chevilles poilues, elles finissent par avoir à mes yeux la structure des plus beaux drapés de marbre, deviennent dignes d’une pietà départementale…
Nous nous accordons un café-calva dans un PMU que nous salopons de boues tenaces. En sortant, nous nous regardons dans nos frusques imbibées, impossibles à sécher. L’élégance n’est plus de mise. Nous ôtons nos shorts en jean et assumons nos cuissards B’Twin. Un jour, nous finirons par devenir des cyclistes technologiques, avec pédale auto, Isostar et tout le bazar. Pour l’heure, nous sentons le chien mouillé.

Par Foucauld

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