Pietà départementale

Monday, November 7, 2011

Il commence à pleuvoir sur Pontoise lorsque Tigre de Papier crève une première fois, au bout de deux kilomètres. Vélo retourné, paluches noires de cambouis, il répare son fidèle destrier et nous décampons. Neuf bornes de plus, rebelote. À court de boyau de rechange, je dois lui venir en aide et pars à la recherche du Décathlon le plus proche. Après m’être perdu dans des chemins aussi boueux que caillouteux, je pète un câble de vitesse dans une montée si raide que les autos-écoles viennent s’y exercer au démarrage en côte.
Je retrouve mon compagnon de galère abrité derrière un panneau routier. Sur des lambeaux d’affiche, Nicolas Miguet promet monts et merveilles, mais Tigre de Papier pense plutôt à éviter les balles des chasseurs qui sifflent dans les champs de betterave. Il s’empêtre dans la colle, parvient à changer son boyau et enfourche son Roger Lapébie.
Sur la D22, les camions nous aspergent et tentent de nous happer. Le rire est présent, nerveux. Il est impossible de reculer. Qui viendrait nous chercher ?
Fottorino dit qu’on écrit beaucoup quand on n’écrit pas. Encore faut-il se souvenir de ce qu’on aurait voulu noter les mains sur le guidon. Je me rappelle en substance ce que je désirais écrire, mais pas de la phrase exacte, la tirade qui arrivait comme une évidence.
Quand il ne se passe rien on se raccroche à ce que l’on peut. L’horizon, une ligne blanche, la perturbation visuelle causée par une roue voilée, les chaussettes de Tigre de Papier… Détrempées comme des wassingues, tirebouchonnant sur ses chevilles poilues, elles finissent par avoir à mes yeux la structure des plus beaux drapés de marbre, deviennent dignes d’une pietà départementale…
Nous nous accordons un café-calva dans un PMU que nous salopons de boues tenaces. En sortant, nous nous regardons dans nos frusques imbibées, impossibles à sécher. L’élégance n’est plus de mise. Nous ôtons nos shorts en jean et assumons nos cuissards B’Twin. Un jour, nous finirons par devenir des cyclistes technologiques, avec pédale auto, Isostar et tout le bazar. Pour l’heure, nous sentons le chien mouillé.

Par Foucauld

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