Ma nuit sans Maud

Thursday, February 9, 2017

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Le train de Clermont est le seul que je connaisse avec un chariot ambulant en guise de wagon-restaurant. La Nespresso a remplacé les thermos ou le lyophilisé. Ça se vaut dans la médiocrité. Les prix sont plus contemporains.
À Riom, des lycéens grimpent dans le wagon comme on attrape le métro. Je ne supporte pas ces espèces de socquettes qui laissent une bande de peau visible avant le revers du jean. Le propre de l’adolescence est d’être systématiquement mal couvert. On prend de l’âge quand les modes nous agacent.  La chaîne des Puys se dessine au loin. La neige est tombée hier. Il paraît que c’était l’enfer pour rentrer.

Quand j’étais enfant, ma grand-mère nous mettait des bottes les jours de pluie. Ici aussi on doit adapter ses souliers. Je pense à Ma Nuit chez Maud. Trintignant y joue un ingénieur fraichement débarqué à Clermont. Il peine à trouver ses marques, n’a pas envie de passer des coups de fil ou d’entrer en relation. La ville est grise : blanche de neige et noire de pollution. C’est la même saison.
J’ai rendez-vous chez les Cycles Victoire pour prendre possession du cadre que j’ai fait faire à mes mesures dans leur atelier. J’essaye la bête dans les parages. Le vent balaye la neige sur le plateau de Gergovie. On devait y travailler le minerai et bricoler des alliages. Il s’agissait de se mettre sur la gueule dans de bonnes conditions. L’acier est de retour.

Aubière. Après avoir peaufiné les réglages du vélo, je rentre à l’hôtel Lou Tassou. On ne m’y attendait pas malgré ma réservation. Le serveur doit voir avec sa patronne. Il ferme le bar dans trente minutes. Voici les clés, le code de l’entrée, le petit-déjeuner est à sept heure et demie. Il insiste pour me tendre une télécommande. Des gens boivent des verres sans trop causer. Ils ont l’espace pour eux et l’horoscope en direct sur les deux écrans plats.
On m’avait conseillé un resto. Il est privatisé. Les autres sont loin, proches de l’aéroport. Il reste un bar portugais et un kebab. Je commence par le premier. Un demi pour le principe. Pourquoi pas de la Grim’. J’ai rarement vu des tronches aussi abimées. La patronne engueule un type qui a du mal à finir son kir. Elle sait qu’il ne pourra pas le payer. J’apprends qu’il s’appelle Jean. Elle lui fait changer le fût. Je sors. Un mec me suit. J’ai vu qu’il avait une dent fendue en biais. Je marche à grandes enjambées.
Tout est là dans le kébab : les âmes qui vivent, le grand plasma, des familles de sortie, des gens peinards qui prennent à emporter. Ça ne les empêchera pas de sentir le graillon. « Qu’est-ce que vous conseillez comme sauce ? » Je crois qu’on ne lui avait jamais faite. De toute manière je savais que je prendrais de la blanche. « Installez-vous. » Un tour de périscope, trois lignes dans un carnet, le grec arrive. Tant pis pour la littérature.

L’hôtel est un établissement pour commis-voyageurs. On rentre avec un code et on se débrouille. Il n’y a pas un cadre, pas une affiche, juste la grille tarifaire, un plan d’évacuation et la télévision sur son support mural. Une petite table est calée dans un coin. Je pourrais chroniquer mais France 3 Auvergne diffuse un documentaire sur Bardot. Je cède à la facilité avec un arrière-goût d’oignon. Les murs sont fins. On entend ses rares voisins.

A l’aube, je descends prendre mon petit-déjeuner tout équipé. Le jus d’orange industriel est un piège. Je couvre ma tasse de sa coupelle pour que le café ne refroidisse pas trop vite. La radio diffuse des chansons de boîte de nuit qui remplacent le son de BFM TV. Julien arrive. Nos phares clignotent tandis que se lève un jour sans soleil.
Les ZAC disparaissent et la route sépare des collines sur lesquelles sont plantés des châteaux-forts. Julien les imaginait se faire la guerre comme sur les dessins d’enfant. Je vois très bien la scène. Il aurait fallu des catapultes. Nous bifurquons pour éviter les voitures. En haut, il y a Bellevue. C’est de là que mon vélo tire son nom. A la sortie d’un village, une femme prend le thé en profitant de sa baie vitrée. Julien rêve à des débuts d’autarcie. Ce qu’il aime à vélo, c’est ressentir les variations de température. Moi j’aime parler. Voici Courpière. Nous adossons nos montures à la vitrine de Titine. Je passe à la boulangerie.

-       C’est la première fois que je vois de la brioche aux grattons de canard. C’est votre spécialité ?
-       Mon prédécesseur en faisait. J’ai repris il y a huit ans et j’ai continué. Avec la grippe aviaire on a du mal à en trouver. Faut aller jusqu’à Vichy.

Derrière le bar, le carafon de raide est débouché. Les grattons s’accommodent d’un allongé. Jean-Luc Lahaye passe au Top 50. Il porte des santiags en lézard. Les habitués préfèrent Daniel Guichard. Je termine une part de flan. On m’attend pour déjeuner dans le Forez. Faut-il prononcer le Z ?
À Augerolles, Julien amorce son retour. Nos chemins se séparent. Fin de la conversation, début de l’ascension. En danseuse, les affaires tanguent à l’arrière. Pourtant il n’y a rien dans la sacoche de selle : un pantalon, de quoi se couvrir, une paire de Nike, un livre mondain. L’homme est le seul animal à avoir besoin d’un pelage de rechange. Les trois premiers jours, la douche lui semble également obligatoire. Dommage qu’on ne sache pas se lécher comme les chiens.
Ici la neige ne fond plus. A la sortie d’un hameau, trois vieux discutent avant de se séparer. Je m’arrête net. Ils s’interrogent. Le lieu-dit s’appelle Les Champs-Elysées. Je viens de Paris. Ils en rient avec moi. J’ai plus de dents que les trois réunis. Nous nous souhaitons une bonne journée.
Quarante kilomètres de grimpette, c’est long. J’ai le temps de penser. Le Col de la Loge n’est pas souvent indiqué. Les corbeaux tournoient au dessus des ermitages. La pluie commence à tomber. Je mouline avec moins d’allant. Le vent me cueille au tournant. La descente est bienvenue, le panorama époustouflant. Il paraît que c’est là qu’est né Aimé Jacquet. Je retrouve la plaine à Boën-sur-Lignon. Je descends les mains. Là où je vais, je ne mourrai pas de faim.

Par Foucauld

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The Business of Life

Monday, December 26, 2011

J’avais décidé de me rendre à la librairie Shakespeare and Company et il a fallu que j’y parvienne le jour des funérailles de George Whitman, son fondateur. L’échoppe de bois vert bouteille était close, mais beaucoup de monde était présent. Au lieu de se tourner vers Notre Dame, les touristes préféraient photographier la scène, écrire de petits mots à déposer près de bougies que le vent avait éteintes. Il y avait également des fleurs, et un flacon de Jameson dont l’étiquette délavée disait « messages in a bottle – for George something to read on his trip. »
Un vieux beau à gavroche était accompagné d’une femme en manteau de fourrure, portant une cigarette « nouvelle vague » à ses lèvres dépulpées, peinturlurées de carmin. Je m’installais à une table pour coucher mes impressions sur mon carnet. Je m’y moquais d’une jeune originale les cheveux ramenés sous un canotier, drapée dans une couverture beige dont dépassaient des bottines : une sorte de Tom Sawyer femelle, rescapée du Titanic. Je compris qu’elle n’était là que pour un shooting lorsqu’une demoiselle asiatique vint lui enlever la couverture pour laisser apparaître une jupe vaporeuse nacarat et un pull-over beige où était brodé un hommage à Whitman en cursives bleues.
D’autres asiatiques arboraient des sacs Kitson Los Angeles d’où dépassaient des brosses. L’une d’elles vint me demander si j’accepterais de participer à la série. Il me suffisait de rester strictement dans la même position et de continuer à écrire. Le modèle vint s’installer à côté de moi. On lui colla un livre entre les mains, ainsi que le Canard Enchaîné sous le bras. Contraint de rester concentré sur mon carnet, je ne pouvais rien voir de ses manigances. Elle finit par poser le livre à côté de mes gants et je la vis l’ouvrir de ses doigts frigorifiés ; puis elle l’abandonna au profit du Canard qu’elle déplia dans des poses que j’imaginais exagérées. Un dernier crépitement de flash et l’on me remercia d’une inclinaison de tête, sans même daigner m’indiquer la destination finale des photos. Il ne me restait plus qu’à fuir les regards inquisiteurs des badauds en m’enfonçant au cinéma.

Par Foucauld

(Photo : Jean-Pierre Léaud et Marie-France Pisier dans Antoine et Colette de Truffaut)

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Le sel de la terre

Monday, October 10, 2011

« Nous étions les guépards, les lions ; ceux qui nous remplaceront seront les chacals, les hyènes. Et tous tant que nous sommes, guépards, lions, chacals, brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre.»

J’ai enfin visionné Le Guépard de Visconti… Plus de temps pour les regrets, ni pour la médiocrité ! Puisque il s’agit de relever cette grande soupe qu’est la vie, voici Proust : « la magnifique et lamentable famille des nerveux est le sel de la terre ». Je suis nerveux, je suis lamentable, magnifique non, imparfait comme du gros sel oui ; fini les conneries, il faut attaquer La Recherche

Par Foucauld

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Le vice, c’est la santé…

Wednesday, August 10, 2011

Charlotte+Rampling

« A force de côtoyer les illuminés du gardon, je m’y suis mis, à la « canne roubaisienne en roseau laqué noir, 72,20 F » dès que j’ai compris qu’il nous fallait à tous, pour vivre, un vice, sous peine de mort. Le vice, c’est la santé. C’est l’eau des plantes, le vin de pas mal, les femmes de beaucoup, l’éther de quelques-uns, la politique d’autres encore. Moi, c’est la pêche. Je suis gâté. »

René Fallet : Paris au mois d'août

Par Foucauld

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Broken Noses

Tuesday, April 19, 2011

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En lisant ce très vieil article du New York Times, j'ai découvert Broken Noses, un film de Bruce Weber sur le boxeur Andy Minsker et la salle où il entraine la jeunesse de Portland. Poétique, amusant, parfois émouvant, il ne me reste qu'à mettre la main sur le DVD et manger autre chose que des extraits YouTube.

Par Foucauld

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Bloody Mary

Friday, April 15, 2011

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Dans Panique au Village, chef d'œuvre en animation, Steven le fermier (dont la voix est interprétée par Benoit Poelvoorde) s'exclame devant le cadeau d'anniversaire que son ami Cheval reçoit de Gendarme : "Quelle merveille ! Quelle splendeur !". A  peu de choses près, c'est ce que je me suis dit en découvrant ce Portraits Croisés de Jane Birkin et Serge Gainsbourg à l'occasion de la sortie du film Cannabis. Je ne vous dis rien de plus…

Par Foucauld

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Boxers

Thursday, March 3, 2011

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Losing in front of your home crowd
You wish the ground
Would open up and take you down
And will time never pass ?
Will time never pass for us ?

Morrissey "Boxers"

Par Foucauld

(Photo : Alain Delon dans "Rocco et ses frères" de Luchino Visconti)

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Vie Privée

Wednesday, February 23, 2011

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« Sous la mythologie, sous l’entreprise et le triomphe publicitaires, il existe ce miracle gratuit et parfaitement injuste : les privilèges d’une petite fille née belle. »

François Nourissier : "B.B. 60"

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Ma première petite conne…

Monday, December 6, 2010

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- J'ai le remords… mon premier homme marié.
- Ouai… et moi ma première… ma première quoi ?
- Vas-y ! Ma première idiote… ma première maigrichonne… ma première petite conne !
- Ma première petite conne…
- Tu sais, je suis comme toi, quand je ne suis pas formidablement heureuse, je m'en vais… je m'en vais !

Prémonitoire ? Tout est déjà dans Slogan, le film de Pierre Grimblat qui donna naissance au couple mythique : tes vingt ans, mes quarante, la fulgurance des débuts, une fin violente, la vie qui continue puis reprend. Jane et Serge se découvrent sur le plateau de tournage, dans des rôles écrits sur mesure. Ils jouent les scènes dont leurs vies seront l’écho, avant que la réalité dépasse les images. J’ai rarement vu de représentation du bonheur plus éclatante que dans ce film, rythmée par une bande originale jouissive, arrangée par Jean-Claude Vannier.

Par Foucauld

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L’éducation skateboardistique de mes parents

Monday, November 29, 2010

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Comme Edouard Baer « je suis un très mauvais citadin. Je ne fais jamais de sortie culturelle, je ne vais pas au cinéma, ni aux expos, ni au théâtre d’ailleurs ». C’est donc tout naturellement que j’ai raté l’exposition de Raphaël Zarka au Palais de Tokyo. Je n’ai pas lu sa « Chronologie lacunaire du skateboard » ou « La Conjonction interdite ». Je me rattrape comme je peux, en l’écoutant parler dans « Qui sera le maître ?», court-métrage fort attendu, sorti il y a une quinzaine de jours.
Dans ce film Zarka expose les rapports que la société entretient avec le skateboard, tandis que se croise une histoire d’amour en sursis, un chauffeur de taxi et un skateur en polo rouge. A voir.

Par Foucauld



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