Un monde qui finissait

Friday, March 6, 2015

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“Je tenais dans mes bras cette femme, qu’est-ce qu’une femme, une chair qui va se flétrir, une peau, un satin, une voix qui murmurait à mon oreille, elle disait David, elle m’a nommé une deuxième fois, ce nom de roi que je porte et cet être de fange que je suis se sont accordés au long des nuits d’hiver parce qu’une voix de femme les prononçait. J’étais David parce qu’elle faisait rouler sous sa langue ce nom qu’elle consentait à lui, qu’elle me l’accordait, my David, nous avions connu cette étrange joie, cette tristesse violente d’un monde qui finissait. J’avais attendu en vain la certitude, j’avais cherché sans le savoir la lumière que donne l’existence d’un autre qui entraîne. Je vivais sans recours, d’être nommé et sans nom, et elle m’a appelé, elle m’a nommé David, nous étions l’heure arrêtée et l’autre qui ne viendra plus, mais il venait pourtant. J’ai toujours su que l’amour est une fable, une affaire intérieure, une affaire de police, je n’y crois pas, rien n’est réciproque, et surtout pas cela. Mais parfois les moules se brisent, les rivières remontent vers la source, l’heure sonne et ne sonne plus, et ce qui devait venir advient, l’amour devient amour parce qu’il est, il meurt, mais il est, jusqu’à la fin il est.”

Marc Lambron, L’œil du silence, Prix Femina 1993

(Photo : Lee Miller, inspiratrice du roman, photographiée par Man Ray)

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