La nuit habituelle
Monday, October 14, 2013Les bus du soir ont des airs de film français, quand entrent des brunes en trench-coat dans le halo des plafonniers. Dehors, un fast-food caribéen met en lumière un homme qui avale goulument son plat de friture épicée. Il dévore plus qu’il ne dine, au point qu’on a l’impression que tout le monde chipote et mange sans avoir faim dans les restaurants plus policés. Le sourire plein de dents blanches et de chair, l’œil en extase, il m’apparait à la manière des clients du restaurant de Time Square où Bardamu prend son premier repas américain :
« Mais si on nous arrosait ainsi clients de tant de lumière profuse, si on nous extirpait pendant un moment de la nuit habituelle à notre condition, cela faisait partie d’un plan. Il avait son idée le propriétaire. Je me méfiais. Ça vous fait un drôle d’effet après tant de jours d’ombre d’être baigné d’un seul coup dans des torrents d’allumage. Moi, ça me procurait une sorte de petit délire supplémentaire. Il ne m’en fallait pas beaucoup, c’est vrai. »
(Louis-Ferdinand Céline, Voyage au Bout de la Nuit)
Image : Hedi Xandt, God Of the Grove