Le prix de l’amour
Friday, March 9, 2012« Guy nous rejoignit. Je m’aperçois que je n’ai guère parlé de lui : un beau garçon de vingt ans, une chevelure romantique, des mains diaphanes, une sensibilité trop aiguë. Longtemps, nous l’avions admiré, puis sa faiblesse, avouée après le départ d’Irène, nous avait détournés de lui. Nous étions tentés de l’abandonner à son violon, à ses livres rares, à ses étranges lubies d’adolescent qui ne mûrirait jamais. Pourtant il nous émouvait encore par l’idée grandiose qu’il se faisait de l’amour. Son approche d’Irène fut pathétique comme s’il craignait les coups. Elle ne lui en assena pas et, sans doute pour mieux dérouter, elle renoua avec Guy comme si rien ne s’était passé sinon qu’elle renonçait une fois pour toutes à sauter des bras de l’un dans les bras d’un autre.
Guy fut très prudent. Il s’aimait trop lui-même pour que la fuite scandaleuse d’Irène ne l’eût pas gravement blessé. Comme une plaie profonde, difficilement guérissable, il portait le souvenir d’un amour effondré en pleine extase. Nous étions plus sceptiques que lui sur la qualité d’un tel amour, mais qui aurait osé le lui dire ? Personne. Étonnés, nous le regardions prendre de l’épaisseur, en même temps qu’Irène nous inquiétait tant nous doutions de sa sincérité. »
Michel Déon, Le prix de l’amour, dans Nouvelles Complètes, Folio
(Photo : Camilla Hansen par Aram Bedrossian pour Lovecat Magazine)
No comments yet, be the first!
You must be logged in to post a comment.