Du sublime à jet continu…
Tuesday, February 15, 2011« Rentrée chez elle, elle comparera son mari au fournisseur de pouahsie, et elle le méprisera. Tout lui sera motif de dédain, et jusqu’au linge sale de son mari. Comme si un Don Juan ne donnait pas ses chemises à laver ! Mais l’idiote, ne le voyant qu’en situation de théâtre, toujours à son avantage et fraîchement lavé et pomponné, se le figure héros ne salissant jamais ses chemises et n’allant jamais chez le dentiste. Or, il va chez le dentiste, tout comme un mari. Mais il ne l’avoue pas. Don Juan, un comédien toujours sur scène, toujours camouflé, dissimulant ses misères physiques et faisant en cachette tout ce qu’un mari fait ingénument. Mais comme il le fait en cachette et qu’elle a peu d’imagination, il lui est un demi-dieu. Ô les sales nostalgiques yeux de l’idiote bientôt adultère, ô sa bouche bée devant les nobles discours de son prince charmant porteur de dix mètres d’intestins. Ô l’idiote éprise d’ailleurs, de magie, de mensonge. Tout du mari l’agace. La radio du mari et son inoffensive habitude d’écouter les informations trois fois par jour, pauvre chou, ses pantoufles, ses rhumatismes, ses sifflotements à la salle de bains, ses bruits lorsqu’il se brosse les dents, son innocente manie des petits noms tendres, dans le genre chouquette, poulette ou tout simplement chérie à tout bout de champ, ce qui est dépourvu de piment et la met hors d’elle. Il faut à madame du sublime à jet continu. »
Albert Cohen : "Belle du Seigneur"
Par Foucauld
(Photo : Kirsten Dunst par Craig McDean )
Elle a l’air plutôt sympa sur cette photo.
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