Cette hargne discrète…
Tuesday, July 10, 2012« L’existence avait perdu son allure inoffensive. Elle s’échappe d’elle-même pour aller se décharger dans un trou. Il y a, dans cette contraction, un silence infect. Ça fait comme une gorge de poulet. On a envie d’y passer le couteau, et de trancher ce qui glougloute. Et c’est vrai qu’en marchant toutes ces journées et ces nuits dans Paris, je voyais les corps différemment. Bien sûr, la plupart promènent accablés leur couenne éteinte. Il suffit de prendre le métro vers 18 heures, et de mastiquer dans l’entassement sa propre viande. Il suffit d’engager une conversation dans la rue, ou dans un café, juste après la fin du travail. Ils sont hargneux, comme tous ceux qu’on a lésés. Cette hargne, parfois, est discrète. Sous l’éventuel charme, elle gronde ; le sourire ne sait plus, il se tord un peu, la gêne va devenir méchante. Car la soumission calfeutre. Alors ils préfèrent vous dire en silence : n’attends rien, je n’ai pas le temps. »
Yannick Haenel, Cercle
(Photo : Kate Upton par Terry Richardson)