L'homme est Suèdois, prend des photos et souffre du défaut de ceux qui en font trop: ses pépites sont difficile à trouver. Souvent, il a l'air de se forcer, il fabrique de la photographie de mode un chouilla surfaite, des trucs aussi attendus qu'une blonde tirant la langue en soulevant sa robe dans un parc. Mais, en rentrant chez lui, il semble avoir quelques éclairs de lucidité et là, badaboum, ses idées folles explosent sa lentille, perforent son obturateur et il nous pond des perles. Faut les trouver, en voilà quelques unes.
À l’heure où Pierre Bergé et Christie’s s’affairent pour disperser dans une titanesque vente aux enchères les trésors amassés par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé pendant leurs vies, Hedi Slimane a eu le privilège de photographier certains de ces objets qui seront chargés dans des camions lundi prochain. La collection est connue pour avoir su mélanger à la perfection 733 objets dont plusieurs chefs d’œuvres d’époques et de style différents. L’ancien Monsieur Mode Masculine de Christian Dior a pris le parti de saisir ces objets dans leur individualité, laissant son style et les photos recréer l’harmonie d’un ensemble hétéroclite. Du portrait du chien Moujik « je ne sais plus combien du nom » vivant à celui d’un de ses prédécesseurs par Andy Warhol, des lunettes du maître à des objets pieux, on ne regrette qu’une chose : ne pas avoir eu la chance de visiter le palais qui les contenait.
Tant pis pour l’originalité, je vous rebalance quelques photos de Patrick O’Dell dénichées sur Tiny Vices. Il fréquente toujours des gens menant des vies peu équilibrées, a toujours autant de talent, ce qui demeure déroutant. C’est tout pour aujourd’hui.
Je pourrais écrire sur Patrick O’Dell mais ce mec est tellement bon que ç’en est dégoûtant. Par conséquent, je me contenterai de parler d’Epicly Later’d, son photoblog. C’est plus supportable car le talent est étalé, le génie moins concentré. Ce monsieur est le photo editor de Vice. Il connaît tout le monde et traîne dans ce qui se fait de plus cool. Soirées terrifiantes, litres de Bud’, road trip en Harley, tatouages, skateurs pro comme meilleurs potes… il illustre sa vie stimulante sur ce blog. Epicly Later’d est un long trip de drogue sans descente. Lorsque celle-ci pourrait s’amorcer, elle laisse place à un autre fix tout aussi stimulant : l’inspiration. Gosh !
Convient-il de fêter l'anniversaire de son chien, en lui jouant un air d'accordéon, le crâne auréolé de deux coeurs de plastique? Convient-il de faire poser sa femme et son fils nus pour ensuite leur demander d'embrasser le chien? Convient-il de déguiser son premier né en élan? Je soupçonne Akihiro Furuta de ne jamais s'être posé ce genre de questions. Tant mieux. C'est fascinant que ce soit au milieu des photos de famille d'un quadragénaire
nippon que l'on trouve les choses les plus captivantes dans ce bordel à wannabe photographes qu'est Flickr.
Aujourd'hui, je prends le contre-pied de Foucauld. Avec Jerry Hsu, il illustrait cet esthétisme propre aux défauts, au manque de contrôle, à l'instinctif. Là, rien à voir, on parle travail, construction, attention maniaque portée aux moindres détails. Chez Erwin Olaf, la maîtrise est totale. Deux formes de voyeurisme s'affrontent. L'une, volée à la rue, à la "vraie vie", l'autre mise en scène, travaillée à la perfection. Le photographe hollandais, qui parle anglais avec cet accent particulier, ce Karl Lagerfeld's accent (sorte de ramolissement des voyelles), se démène pour explorer les excès de notre mode de vie, en produisant lui même des images excessivement consciencieuses. Un monde d'excès donc, où les grands-mères tentent de rester sur un terrain de jeu dont elles ont été exclu depuis longtemps, où les fêtes orgiaques ont un arrière goût de désespoir, où la consommation du luxe semble s'apparenter à une étouffante démonstration de force infantile, un peu à la manière de ces garconnets qui "se la montre" dans les toilettes de la salle de gym, pour déterminer qui sera le plus fort. Mais, il n'est pas dupe, ces excès ont toujours existé, et c'est peut être ce qu'il veut souligner lorsqu'il reprend, dans une de ses dernières séries, "laboral escena, Gijon, Spain", l'iconographie des grands maîtres Baroques. Et dire, que l'homme a failli finir journaliste et qu'il a fallu qu'on lui coince un appareil entre les mains pour qu'il se mette à travailler sérieusement.
Lorsqu’il skate pour Enjoi, Jerry Hsu n’est pas du genre à taper des switch nose blunt slide sur des rails de vingt-cinq marches (même s’il sait le faire). Il préfère exploiter ce que personne n’avait pensé à exploiter dans l’architecture. Il invente des sorties de tricks, des manières de taper des wallrides ou de remonter un handrails. En photo c’est un peu la même chose, mais les êtres vivants remplacent l’architecture. Dans un environnement difficile voir sordide, il sait fixer sur sa pellicule la touche d’humour ou d’absurdité d’une situation. Dans des endroits ou seul un skateur se rend délibérément et pour son propre plaisir, Jerry Hsu se fout royalement de travailler proprement ou d’obtenir de magnifiques couleurs délavées à l’aide de pellicule périmée. Son appareil prolonge son œil. Noir, blanc ou coloré, clic, clac c’est dans la boite. Sa vision du monde s’impose d’elle même, tantôt en sautant aux yeux, tantôt dans les détails. Une pauvre femme urine debout dans la rue ? Il nous montre à quoi notre monde moderne réduit ses habitants. Des gamins sniffent de la colle ? Leurs regards malicieux nous font oublier le sordide de la situation. Jerry Hsu va au zoo ? Il tire le portrait d’un mammifère marin fantomatique, à l’expression atrocement humaine. Le monde de Jerry Hsu est un monde d’estropiés, de drogués, de rachitiques. Un monde de pisse, de sperme et de sang, de larmes et des éclats de rires de bouches au chicots pétés. Bienvenue dans la vraie vie.
Face à ces corps difformes, ou plutôt « over-formes » photographiés par Martin Schoeller, la première question que l’on se pose est : « pourquoi ? ». À vrai dire, je serais bien incapable d’y répondre. Ce qui est perturbant c’est de voir leurs regards. Ces femmes semblent s’excuser de leurs corps. J’imagine qu’elles sont des épouses, des mères, des sœurs. La sortie des écoles doit être un bien curieux spectacle, lorsque ces superwomen viennent apporter le quatre heure de leurs morveux… Sont-ils aussi costauds que leurs mères ? Si c’est le cas, les récréations ne doivent pas être tristes !
Il est allemand, elle est née à Prague et à eux deux ils ont réussi à me faire ressentir quelque chose que j'avais oublié depuis Shining: l'angoisse du gosse, la terreur des marmots, la frousse des petits. René et Radka travaillent ensemble depuis 2000, ils ont collaboré avec diverses marques, produit un nombre incalculable de pubs (la Miss Sixty avec les gamins, c'est eux), de séries de modes plus ou moins inspirées et au milieu, paf! cette série où ils mettent en scène de terrifiants bambins, hagards, figés dans des poses qui n'annoncent rien de de bon. Cette gamine sur sa balançoire statique, la tête plongée dans les genoux, ne laissant pour tout visage qu'un rideau de cheveux blonds, cette fillette fait passer Linda Blair pour la petite soeur d'Heidi. Et que dire de ces manèges esseulés, mangés par la rouille, de ces aires de jeux désertes ? Je n'y mets pas les pieds et je lui offre une Xbox.
Un jour je me suis dis que Larry Clark n'était pas un si bon photographe que ça et je suis tres heureux d'avoir trouvé cette citation de Les Krims :
"street photography uses the poor and damaged as the raw material for a perverse entertainment."
Les Krims est Né en 1942, à Brooklyn. Petit génie féru de mathématique, il se tourna vite vers la photographie. Depuis des années, Il enseigne à Buffalo, NY, et a laissé une marque profonde sur le travail de ses étudiants, notamment celui d'une certaine Cindy Sherman. Les deux m'impressionnent pour une raison assez simple: ils arrivent à composer, à fabriquer de toute pièces des photos qui commentent les travers de la société dans laquelle ils vivent, d'une manière bien plus pertinente et esthétique que n'importe quelle wannabe photographe qui traîne ses baskets dans les squats en shootant à tout va.
Remplies d'ironie et de contradictions, ses mises en scènes fascinent: on les regarde, on admire la composition, l'équilibre, on remarque quelque détails et on s'amuse à extrapoler dessus. On cherche du sens et on se dit que de toute manière on passe à côté de la moitié de ce qu'il veut signifier, alors on retourne, penaud, au stade esthétique pour sa marrer à nouveau. Dommage que son site, bien que très largement fourni, n'offre que de petites images. De fait, je n'ai pu mettre que ce qu'internet me filait, mais allez perdre quelques minutes chez lui, ça vaut le coup.