Les morts font vendre, c’est bien connu. Je n’y ai pas coupé, j’ai consommé en librairie, rayon littérature française, lettre « N » comme Nourissier. Après avoir fouiné dans l’œuvre d’une vie, j’ai découvert B.B. 60, le texte qu’il a écrit sur Brigitte Bardot. Simone de Beauvoir ne souhaitait pas se compromettre en publiant, dans sa langue natale, ce qu’elle avait écrit pour Esquire sur la Marianne de l’époque. Le « jeune écrivain frotté d’édition » s’y est donc collé, pour mon plus grand bonheur. Extrait des 61 pages d’un ouvrage recouvert de vichy rose.
« Elle boit quand elle a soif, elle mange quand elle a faim ! Quand cessera ce scandale ? Quand cesseront la faim, la soif ? Fermez enfin ces lèvres entrouvertes, faites que cet œil ne brille plus, que ce corps ne bouge plus. Nous avons horreur de la vie, de la nuit. Nous éteignons les lampes. Nous sommes sous les draps. Nos compagnes gémissent faiblement et nous leur fermons la bouche (« d’un baiser », disons-nous), tout cela n’existe pas, n’aura jamais existé. Demain il fera jour ; nous enverrons nos garçons à la guerre, nous irons au bureau, à la messe. Ne nous dites pas que le désir et le plaisir existent, nous ferons bien notre poème sans cette rime. Ne nous dites rien, cachez cette jeune fille, habillez-la, tondez-la, bâillonnez-la ! Elle va rire ! Et puis oui, vous avez raison, c’est plus simple, c’est plus sûr : brûlez-la… »
Je ne sais pas si c’était à cause de l’article du Figaro, de mon état, de la musique que j’écoutais ou de l’addition des trois, mais je dois confesser que mes yeux se sont embués. Vraiment. J’ai tenté de retenir mes larmes et j’y suis parvenu. Elles se sont rétractées, pour mieux revenir dans ma gorge, liqueur salée pour godelureau.
« J’ai horreur de l’image démoniaque et fringante de l’artiste telle qu’elle me fascinait quand j’étais adolescent. L’écrivain, en particulier, n’est pas un aventurier, mais l’homme d’une table et d’un chien. Une famille autour de lui, à la fois le protégeant et le sollicitant, lui fait obligation de travailler et, après tout, publier des livres c’est s’imposer les milliers d’heures de labeur, de silence, de découragement, d’obstination sans quoi aucune œuvre n’existera jamais. Nous sommes des bureaucrates sans chefs de bureau, des ronds de cuir sans cocottes en papier. Ou, pour mieux dire, si nous cédons au vertige de la cocotte nous serons seuls à payer notre dissipation. »
François Nourissier s’en est allé, vaincu par cette salope de Miss P. (pour Parkinson)
Quelle œuvre. Quelle sagesse. Quel exemple. AU TRAVAIL !
« La longue fréquentation des mots – avec ce qu’elle impose d’humilité, d’intuition de l’ombre – fait des écrivains les familiers de la mort. Ils vont à elle, suant, une peur fascinée et malsaine, mais les yeux ouverts, ce qui n’est pas l’attitude de tout un chacun. Pour cela il leur sera beaucoup pardonné. »
« Rentrée chez elle, elle comparera son mari au fournisseur de pouahsie, et elle le méprisera. Tout lui sera motif de dédain, et jusqu’au linge sale de son mari. Comme si un Don Juan ne donnait pas ses chemises à laver ! Mais l’idiote, ne le voyant qu’en situation de théâtre, toujours à son avantage et fraîchement lavé et pomponné, se le figure héros ne salissant jamais ses chemises et n’allant jamais chez le dentiste. Or, il va chez le dentiste, tout comme un mari. Mais il ne l’avoue pas. Don Juan, un comédien toujours sur scène, toujours camouflé, dissimulant ses misères physiques et faisant en cachette tout ce qu’un mari fait ingénument. Mais comme il le fait en cachette et qu’elle a peu d’imagination, il lui est un demi-dieu. Ô les sales nostalgiques yeux de l’idiote bientôt adultère, ô sa bouche bée devant les nobles discours de son prince charmant porteur de dix mètres d’intestins. Ô l’idiote éprise d’ailleurs, de magie, de mensonge. Tout du mari l’agace. La radio du mari et son inoffensive habitude d’écouter les informations trois fois par jour, pauvre chou, ses pantoufles, ses rhumatismes, ses sifflotements à la salle de bains, ses bruits lorsqu’il se brosse les dents, son innocente manie des petits noms tendres, dans le genre chouquette, poulette ou tout simplement chérie à tout bout de champ, ce qui est dépourvu de piment et la met hors d’elle. Il faut à madame du sublime à jet continu. »
« Dans le couloir ballotté, s’entrechoquant avec des rires discrets, des Anglais passèrent, suivis par de cacophoniques gosses américains, crétinets virils, mastiqueurs bariolés, assurés de leur importance et nasillards maîtres du monde, suivis par leurs sœurs dégingandées en chaussettes écossaises, sexuelles et déjà maquillées, s’exprimant également par le moyen de l’arrière nez vibrant, triomphantes vulgarités ruminant leur chewing gum, futures majorettes. »
"Et on a fait les choses qu'on fait depuis qu'il a dix-sept ans et que j'en ai seize, les choses de la nuit, elles sont pareilles pour tout le monde, les maîtres, les domestiques, les métayers, les canards, les lièvres, les taupes, il n'y a que les mules à qui ça n'arrive pas, ces choses, les mules et les Sœurs de l'ouvroir et Maria Sentucq. Et moi j'y suis tellement habituée à ces choses, je le connais si bien Monsieur Boy, que je me dis quand je suis avec lui là, dans un lit, je me dis que ce n'est pas possible que le Bon Dieu ne soit pas content, qu'on ne fait rien de plus mal que les lièvres et les canards et que tant pis si je reste fille, puisque, tiens, après tout, c'est quand même un peu mon mari, Monsieur Boy, vu que ces choses-là je ne les fais qu'avec lui, que je ne les ai faites avec personne d'autre, avant, ça personne, je le jure."
"On va voir la pièce, là, Liaisons dangereuses, rien que des histoires de Français qui concoctent des complots sexuels, ce n'est pas tant le sexe qui les intéresse que les projets et les manigances pour corrompre des vierges et des ménagères, tout ça très cérébral, mais le pire de tous, le héros de la pièce, tombe amoureux malgré lui de la femme qu'il essaie de séduire à la suite d'un pari, et ça fout vraiment tout en l'air pour lui. Pas besoin qu'on me fasse un dessin."
"La musique est un art céleste, il est certain que notre race en a le privilège ; elle sort du plus profond de nos entrailles ; les hommes le savent si bien, qu’ils nous les empruntent, quand avec leurs violons ils veulent nous imiter. Deux choses nous inspirent ces chants célestes : la vue des étoiles et l’amour. Les hommes, maladroits copistes, s’entassent ridiculement dans une salle basse, et sautillent, croyant nous égaler. C’est sur la cime des toits, dans la splendeur des nuits, quand tout le poil frissonne, que peut s’exhaler la mélodie divine. Par jalousie ils nous maudissent et nous jettent des pierres. Qu’ils crèvent de rage ; jamais leur voix fade n’atteindra ces graves grondements, ces perçantes notes, ces folles arabesques, ces fantaisies inspirées et imprévues qui amollissent l’âme de la chatte la plus rebelle, et nous la livrent frémissante, pendant que là-haut les voluptueuses étoiles tremblent et que la lune pâlit d’amour."
"L'individu a besoin de faire sortir des choses de lui. Quelques millilitres de sperme ou des pages noircies en ce qui me concerne, mais c'est tout. Et tout le reste attend. T'attends de recommencer. Pas réjouissant, hein ?"