C’est moi qui t’ai suicidée, mon amour.
Tuesday, September 21, 2010J’ai fait d’un extrait de Serge Gainsbourg le titre de cet article pour éviter l’égocentrique « ma moustache ». Un homme ne devrait jamais s’attarder sur son physique, et encore moins s’épancher publiquement des tracas d’icelui. Cependant, je suis si malheureux que je me suis promis d’écrire, nonobstant le chagrin, le plus beau texte possible en l’honneur de mon défunt duvet.
Samedi matin, après un rasage soigneux qui mettait ma moustache en valeur et laissait une longueur de pattes réglementaire, je bouclais ma valise en vue d’un week-end en Baie de Somme. L’événement qui s’y tiendrait méritait quelques préparatifs. Ils comprenaient, en sus du rasage, le choix d’une cravate en tricot, d’un blazer court à deux boutons et d’une chemise de twill bleu ciel, dont les poignets mousquetaires fermaient par de sobres boutons de manchettes en argent.
Chaussé de boots bergeronnettes, protégé par un ample Barbour, prêt au départ, je voulus vérifier la longueur optimale de ma moustache lors d’un dernier coup d’œil au miroir. Narcisse prit sa tondeuse, et, nul ne sait pourquoi, ôta le sabot, avant d’appliquer les lames électriques contre son duvet. Il leva le rasoir pour passer de l’autre côté. Le pan droit n’était plus et l’homme au large menton faillit s’évanouir. Ma compagne depuis un an et demi se retrouvait mutilée par une incompréhensible erreur d’inattention. Mon cœur se mit à battre et les larmes à couler. En une seconde, j’étais passé du mauvais rêve à la réalité. Comment était-ce possible ? Mes cauchemars étaient-ils prémonitoires ?
Dans ce genre de situation, vous ne pensez pas à essayer quelques stupides formes de moustaches. Celle de Hitler est inconcevable, conserver un seul pan impensable. Vous mettez un certain temps à vous décider, puis vous achevez de déplumer votre sillon naso-labial, mécaniquement. La peau vous brûle. Peut-être est-ce normal, elle n’a pas vu la lumière du jour depuis si longtemps. Vous laissez le rasoir en plan et fuyez. Vous ne pouvez rester en ce lieu d’assassinat.
Vous empruntez le boulevard. Chaque reflet d’une devanture est un supplice : l’effroi est systématique. Votre visage apparaît inexpressif, rose, bouffi. Vos yeux morts ne sont que de petites billes enfoncées dans de ridicules orbites. Votre bouche n’est qu’une grotesque fente aux contours pincés. Votre cou s’est étendu et vos cheveux raréfiés. Même vos bésicles chéries ne parviennent plus à structurer votre visage.
Dans le métro, vous dissimulez la majeure partie de votre figure à l’aide des replis d’un long chèche gris. Vous devez vous asseoir, puis restez complètement prostré, respirant l’air saturé de votre masque de fortune. Que vous êtes malheureux.
Comme l’enfant à son doudou, vous vous agrippez à votre mobile. Vos pouces experts retrouvent leurs marques et pianotent. Il faut avertir les proches. Les messages de soutien affluent. Le noyau dur est catastrophé. Des hauteurs tentent de vous rassurer en énumérant les inconvénients du poil et les avantages de l’aérodynamisme d’un visage glabre. D’autres vous promettent un retour fourni ou mettent en cause votre penchant pour la boisson. Un facétieux propose une collecte de poils pubiens qui servirait à confectionner la base d’un postiche, mais revient vite les pieds sur terre en rappelant l’adage : un baiser sans moustache, c’est comme une soupe sans sel. Vous le connaissiez et sanglotez de plus belle. Les plus misogynes vont même jusqu’à suspecter une amante d’avoir joué les Dalida, avant de s’éclipser au petit matin. Vous n’avez pas le cœur d’y croire. Vous êtes responsable, c’est pire.
Arrivé à destination, vous n’osez embrasser votre famille. La reine mère vous juge comédien, mais vous n’avez qu’une seule envie : vous frapper le visage ou vous engager dans la Légion. Toujours prostré, vous fomentez les projets les plus fous. Vous partez en quête du prieur de l’abbaye de Valloires, bien décidé à lui faire dire une messe à la mémoire du regretté attribut. Malheureusement, il ne reste que le guide qui préfère poursuivre sur les détails de l’orgue que d’écouter vos histoires. Le Saint Lieu est toujours consacré. Vous faites une petite prière pour obtenir une repousse rapide. Vous promettez que vous ne pourrez plus vous passer du merveilleux poil s’il revient. Vous en avez d’ailleurs la certitude. En attendant, c’est atroce.
Après une nuit agitée, j’ai repensé à un PDG italien dont j’ai oublié le nom. Son drame était de ne plus pouvoir porter la moustache. En effet, ses fonctions ne lui permettaient pas d’être mal rasé pendant les trois semaines que nécessite la croissance d’une moustache. Cette dernière ne restait qu’un lointain souvenir de jeunesse, jaunissant sur quelques photos aux bords crantés. Mon milieu est moins à cheval sur ce type de convenance. C’est la ma chance. Alors que j’écrivais ce texte, l’inconstance me fit piocher dans ma bibliothèque. Je suis tombé sur une illustration de Denis Carrier qui met en valeur ce texte de Dali :
« En trois jours, j’achevai d’assimiler et de digérer Nietzsche. Ce repas de fauve terminé, il ne me resta qu’un seul détail de la personnalité du philosophe, un seul os à ronger : ses moustaches ! Plus tard, Federico Garcia Lorca fasciné par les moustaches de Hitler devait proclamer que « les moustaches sont la constante tragique du visage de l’homme ». Même par les moustaches, j’allais surpasser Nietzsche ! Les miennes ne seraient pas déprimantes, catastrophiques, accablées de musique wagnérienne et de brumes. Non ! Elles seraient effilées, impérialistes, ultra-rationalistes et pointées vers le ciel comme le mysticisme vertical, comme les syndicats verticaux espagnols. »
Par Foucauld
PS : je vous ai épargné mes considérations hygiéniques, mais à l’instant où le dernier poil tombait, j’ai éternué et attrapé la crève.
No comments yet, be the first!
You must be logged in to post a comment.