Ma première fois chez Lock & Co…

Tuesday, February 2, 2010

RuudVanEmpel

L’acquisition d’un premier couvre chef chez Lock & Co est pareille à un dépucelage au bordel. On s’y rend plein d’assurance, persuadé de connaître le mode d’emploi, de savoir ce que l’on souhaite, puis on arrive devant la porte et c’est une autre paire de manches…

Au 6 Saint James’s Street, la devanture est moins tapageuse que je ne l’imaginais, mais plus intimidante : depuis 1676, tant de têtes couronnées (la marque possède les Royal Warrants du Prince de Galles et du Duc d'Édimbourg) et célèbres franchissent cette embrasure de bois déformé pour acquérir un melon ou une toque d’astrakan, un haut de forme ou un panama.
Toutefois, lorsqu’on a plus de quatre cents ans, on n’a rien à prouver ni à masquer par un luxe inutile et tapageur. L’intérieur est simple. Une première pièce présente un ensemble varié de chapeaux, ainsi que quelques cannes et foulards. Un couloir mène à une autre pièce où les casquettes sont cousues et montées à la main, avant d’être classées par modèle et par taille dans un second couloir. L'étage est réservé à la collection femme.
Je venais pour une Gill pattern 7, forme et couleur mûrement réfléchies chaque jours pendant un mois, mais la réalité était toute autre. Comme une demoiselle dont on fantasmait la ligne d’un sein et le regard aimant et qui découvre des attraits communs et un accent de charretier, la casquette que je désirais se révèle plus effilée, plus longue, au tweed grossier importable en ville. Rien n’allait plus sauf mon désespoir. Avais-je traversé la Manche pour rien ? Repartirai-je sans l’objectif de ma venue ? Pourrai-je soutenir les regards de mes amis après pareille déconvenue ? Et le mien dans un miroir ?
Je passais les commandes de deux membres de mon club d’épicuriens restés à Paris (une Bentley pattern 1 et une Sandwich constituée d’une alternance de points bruns, jaunes et bleus) puis j’essayais trois modèles dans une bonne dizaine de coloris sans parvenir à faire mon choix.
La queue basse et la larme à l’œil, j’en vins à demander conseil à madame la patronne, mère maquerelle de ces divins couvre chefs. Un simple coup d’œil à mon visage lui permit de comprendre ce qui s’harmoniserait avec mon menton proéminent, mes bésicles hors d’age et ma moustache rousse : une Muirfield pattern 3. L’évidence était telle que je la niais. Je revenais à d’autres teintes, refusais tant d’audace mais à chaque fois que je la réessayais toutes les autres étaient effacées.
Je suis sorti de Lock & Co un peu déboussolé, tenant un sac flanqué du mythique logo, riant nerveusement mais conscient que j’étais à présent un autre homme. J’immortalisais ce fantasme devenu concret puis parti vers d’autres rêveries dans la boutique de gauche, un certain John Lobb qui chausse uniquement sur mesure les mêmes têtes venues se coiffer à côté…

Par Foucauld

(Photo : Ruud Van Empel)

Cap_pattern1LogoMuirfield-3 Sandwich_pattern1


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